Place du marché 76 : Le mélodrame de Jan Lauwers
Pieter T'Jonck - De Morgen (12 octobre 2012)

En une année, les personnages de ‘Place du Marché 76’ subissent davantage de calamités qu’une personne ordinaire en une vie. L’image que donne Needcompany du désarroi social en 2012 est sans appel. Pourtant, il semble rester un filet d’espoir. Les développements absurdes que fait subir Jan Lauwers à un petit village paisible sont à peine descriptibles. D’abord, une explosion de gaz décime la jeunesse du village. Lors de la commémoration de l’événement, l’un des enfants survivants saute par la fenêtre. Peu après, un plombier pervers enlève une jeune fille, dont la mère se suicide peu après. Une vengeance s’ensuit. Pourtant, les histoires de Lauwers ne sont pas vraiment tirées par les cheveux. On y reconnaît les Marc Dutroux et Wolfgang Priklopil de ce monde. Les hommes qui tombent du ciel en tenue orange de balayeur, pour leur part, nous renvoient l’image trop connue des étrangers qui sont voués chez nous à des emplois de troisième zone. Ce sont précisément ces hommes qui se révèlent être une manière de sauveurs. Sauveurs bien nécessaires, en l’occurrence. Suite à tous ces malheurs, la petite communauté que nous raconte Jan Lauwers, qui joue le rôle de narrateur, est au bord du gouffre. Les gens n’ont même plus envie de faire l’amour. La fontaine de la place du marché est à sec, au propre comme au figuré. Un sacrifice expiatoire qui ne dit pas son nom – le plombier est noyé dans la fontaine pendant que le commissaire fait semblant de ne rien voir – n’apporte aucune solution. Dès lors, la femme du plombier – l’Asiatique Kim-Ho – est séquestrée à son tour. Ici, l’histoire rebondit encore une fois. Tout comme dans ‘Dogville’ de Lars von Trier, tous les hommes du village se tournent vers elle pour satisfaire leurs désirs. Mais contrairement au film de von Trier, cela ne finit pas par un homicide. Kim-Ho prend plaisir à faire la pute. Elle tombe enceinte, et l’enfant qu’elle attend finira même par sauver le village. La fontaine coule à nouveau. ‘Place du marché 76’ est un portrait de notre monde absurde, peint dans les couleurs les plus criardes. Envolé, le consensus social du bon vieux temps. Il ne reste que la lutte. Comme d’habitude, les performeurs de Needcompany ne racontent pas cette histoire de manière linéaire. De temps à autre, ils oublient leur rôle pour livrer un commentaire sur leur personnage. Régulièrement, la troupe se met soudainement à chanter et danser, mais la plupart du temps, c’est un joyeux bordel que mettent les comédiens. Par moments, la scène est un véritable chaos. Pourtant, tout s’arrange après la naissance de l’enfant. Dans un excellent texte qui accompagne le programme, Erwin Jans nous explique pourquoi. Pour lui, la fin de la pièce apporte la perspective d’un ordre matriarcal qui dépasse la logique d’exclusion et d’exploitation. L’explication est très convaincante, à un détail près : Jans qualifie l’approche de Lauwers de ‘brechtienne’. Pourtant, son ‘théâtre épique’ – c’est ainsi qu’est annoncée la pièce – s’inspire davantage d’un genre dédaigné et oublié : le mélodrame. Le mélodrame a connu son heure de gloire dans le Paris des années 1800. Des rebondissements délirants et sanglants impliquant des personnages les uns plus fous que les autres se succédaient à un rythme effréné, tout cela en chansons et danses. Un narrateur assortissait toujours le tout d’un commentaire et d’une morale. C’est ainsi que les Parisiens digéraient la terreur de la révolution, qui était encore toute fraîche dans les mémoires. ‘Place du Marche 76’ utilise exactement les mêmes moyens pour exorciser nos démons à nous. Même si nous n’avons pas récemment vécu de révolution, il semble évident pour Lauwers que notre monde est tout aussi chamboulé que celui de l’époque. La seule différence : sa morale à lui est plus subtile et plus subversive. En fin de compte, c’est surtout au spectateur lui-même de tirer ses conclusions. Il n’y a que cela qu’on retrouve aussi chez Brecht.

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