Jan Lauwers – peintre de formation, fondateur de groupes de théâtre, metteur en scène, acteur, auteur, concepteur de décors et dans sa toute nouvelle production, dont la première a eu lieu pendant la Ruhrtriennale, également conférencier et musicien sur scène – est à lui seul la personnification du théâtre interdisciplinaire. C’est ce qui caractérise d’ailleurs aussi sa « Needcompany », un ensemble international qui joue, danse et chante – le tout dans des styles les plus hétéroclites et à un niveau d’une impressionnante qualité. Place du marché 76 est le titre de la nouvelle production de cette compagnie, dont les spectacles à l’affiche des plus grands festivals d’art et de théâtre depuis 20 ans en ont fait un véritable label d’un théâtre hybride. Un des thèmes de l’œuvre de Jan Lauwers est le questionnement récurrent des formes et des possibles d’une société, de la tension entre individu et société. Place du marché 76 observe les rapports au sein d’une communauté de villageois que des expériences traumatiques communes ont particulièrement soudée. Une explosion a eu lieu sur la place du marché, touchant notamment une classe entière d’écoliers. Les parents orphelins, les voisins impuissants, ceux qui s’accusent, à tort ou à raison, de la catastrophe, sont pris au piège impitoyable d’un engrenage confus de deuil, de culpabilité, de méfiance, de répression et de discrimination. Et quand un pédophile enlève une fillette et la séquestre pendant 76 jours, leurs émotions restées à l’état brut se mêlent à l’indignation, à la haine et à la vengeance à l’égard de cet oiseau de malheur. Et la situation devient explosive. Pour nous conter cette sombre histoire, Jan Lauwers et sa « Needcompany » ont recours aux moyens dont dispose le théâtre : on assiste à des situations dramatiques et à des passages épiques, tandis que des chansons et des parties chorales assurent le côté lyrique. On retrouve des effets d’aliénation auxquels Brecht nous avait accoutumés, des acteurs sortent de leur rôle, des problèmes techniques font partie du jeu. Vidéo, marionnettes, et bien sûr aussi danse, mime et performance sont mis en scène. Et ce large spectre de moyens théâtraux induit une réaction tout aussi multiple chez le spectateur. Emotions, observations analytiques, amusement des jeux de mots, ironie théâtrale, salves de rires – Jan Lauwers et les acteurs incroyablement hétéroclites de Needcompany prouvent que tout cela est possible dans un même spectacle et quasiment simultanément.