Place du marché 76
Peter Jungblut - Bayern Radio (9 septembre 2012)

Impossible d’ignorer les balayeurs de rue, ils sont donc vêtus de tenues de travail d’un orange éclatant. Et pourtant, c’est à peine si on les remarque – dans la petite ville de province, ils ne sont que des figurants, qui ne font pas vraiment partie du lieu. C’est pour cela que les deux balayeurs de rue, que l’artiste belge Jan Lauwers met en scène dans son spectacle Place du marché 76, peuvent se permettre toutes les libertés. Tour à tour ordinaires, gais, sans gêne, rebelles – l’un d’eux tombe même du ciel dans un bateau, et vient donc d’un autre monde. Tous les autres citoyens semblent être des morts-vivants, sans sentiments, sans joie, sans avenir. Un an plus tôt, un terrible accident a frappé cette ville, une explosion de gaz. 24 personnes sont mortes, dont de nombreux enfants. Depuis, la ville est paralysée par le deuil, la colère et le doute. Et lorsque les villageois mettent la main sur un pédophile qui a torturé une fillette pendant 76 jours dans une cave sous la place du marché, les agressions explosent. Le criminel est tabassé et noyé dans la fontaine. Avant de pendre à une corde. Sa femme, au courant de tout, est emmurée et doit expier pendant 76 jours. Place du marché 76 est un spectacle sur les perversions et les atrocités – et sur une question cruciale : comment est-il possible de vivre ensemble malgré tout ? Peu à peu, de plus en plus d’habitants portent l’orange éclatant des balayeurs de rue – et se défont de leur civilité grise pour retrouver l’amour, la joie, l’utopie. Un message qui pourrait passer à tort pour mielleux ou ésotérique, mais Jan Lauwers et son ensemble ne versent à aucun moment dans le kitsch social. Ils se voient plutôt dans la tradition du théâtre épique de Bertolt Brecht, un style de jeu des années cinquante, désuet depuis longtemps. Et pourtant, chez Jan Lauwers, les artifices du temps de Brecht sont toujours aussi dérangeants, surprenants et efficaces qu’à l’époque. Un modérateur introduit l’histoire et fournit chaque fois des indications sur les diverses locations. Les acteurs sortent de leurs rôles, chantent à l’unisson, dansent, ronchonnent à cause de la technique imprévisible et se coupent la parole. Ce que l’on appelait jadis l’effet de distanciation crée aujourd’hui sciemment des intermèdes comiques. Il est évident que Jan Lauwers a un message pédagogique, il veut transmettre son utopie et évolue de ce fait à la frontière du théâtre pour jeunes publics. Ce qui n’est pas sans irriter plus d’un spectateur. Mais Lauwers maîtrise l’art de révéler l’intériorité de ses personnages par des images tout à la fois drastiques et poétiques. Les morts et les vivants jouent ensemble – car les défunts ne lâchent pas la ville : ni l’enfant qui a sauté de la fenêtre, ni la femme qui s’est jetée du pont. Finalement, c’est la femme emmurée et condamnée à expier qui met un terme au traumatisme paralysant. Les hommes de la ville recherchent sa compagnie comme on va voir une prostituée – et apprennent ainsi à redonner libre cours à leurs sentiments. La couleur orange des balayeurs de rue devient le signal d’un avenir commun plus heureux. Ce spectacle ne s’adresse pas aux pessimistes culturels ni aux spectateurs qui ont perdu la foi en un monde meilleur. Tous les autres trouvent dans Place du marché 76 la vie dans toute sa splendide atrocité.

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