Une danse macabre qui fait mal aux yeux
Liv Laveyne - De Standaard (16 octobre 2012)

Needcompany présente ‘Place du Marché 76’, un tableau aussi acide et pervers qu’hilarant de notre société occidentale et de la façon dont nous digérons les traumatismes. C’est l’été, et c’est la fête au village. Enfin, la fête : le village commémore le jour tragique où une explosion a enlevé au village un grand nombre de vies en même temps que sa joie de vivre. Ce n’est pas un acte terroriste, mais l’explosion de la bonbonne de gaz d’un étal de marché qui a semé la mort. Depuis lors, la fontaine de l’amour sur la place du marché est entourée d’échafaudages, aussi sèche et stérile que le reste du village. ‘Nous allons vous raconter une histoire, mais vous allez devoir y mettre du vôtre,’ dit Jan Lauwers, le metteur en scène, au début de la pièce. Dans ‘Place du Marché 76’, il monte lui-même sur les planches en tant que maître de cérémonie, narrateur et commentateur de cette tragédie grecque. Car en effet, c’est bien cela que rappelle cette pièce, lorsqu’on voit le nombre de malheurs qui s’abattent sur la tête des villageois. Comme si l’explosion ne suffisait pas en elle-même, le jour de la commémoration, l’un des rares enfants survivants saute par la fenêtre. Sa mère, la femme du boulanger, se suicide au moment même où son autre enfant, portée disparue, parvient enfin à se libérer – elle a passé 76 jours enfermée dans les catacombes sous la fontaine, où elle servait d’esclave sexuelle au plombier. Pendant ce temps retentit la plainte de la femme du boucher dans son fauteuil roulant, qui ne veut plus être un fardeau pour son mari. Le balayeur de rue en tenue orange vif, Sweeper – ce n’est pas son nom, seulement sa fonction – regarde tout cela d’un œil affligé. Il reçoit un renfort aérien lorsqu’une chaloupe remplie de petits animaux en plastique tombe du ciel, avec à son bord Squinty. Avec Sweeper, celui-ci constitue la masse silencieuse des immigrés qui se sont échoués là. Ils vivent dans des baraques au bord du village, et sont regardés de travers par la communauté villageoise. Pourtant, dans leurs tenues orange vif, ils ne restent pas ouvriers, mais ils deviennent des moines qui convertissent un nombre croissant de villageois à un nouvel ordre mondial. Le véritable salut viendra cependant de l’exotique Kim-Ho, la femme du plombier, trouvée par correspondance, et qui se retrouve au cachot pour complicité passive des agissements de son mari. C’est finalement cette Michèle Martin qui réveillera, en tant que prostituée, les ardeurs du village et qui rendra à la source sa fertilité en accouchant d’un énorme bébé. Le diable dans ses propres pensées Cette histoire ne demande pas une imagination débridée, puisqu’elle rappelle la fiction du Dogville de Lars von Trier ou encore la réalité de Dutroux à Marcinelle. Place du Marché 76 peut se lire comme une parabole catholique alternative, un manifeste social, une satire des cérémonies de commémoration et d’un système démocratique où plus personne n’ose prendre ses responsabilités, et de bien d’autres façons encore. Dans sa forme, c’est une composition qui s’étend sur les quatre saisons, qui parle le langage d’horreur et d’humour du cabaret allemand, et combine le théâtre brechtien avec la grandeur de l’opéra, en confrontant le kitsch à la punk attitude. Par moments, ça fait mal aux yeux et aux oreilles : les chœurs donnent la chair de poule par leur imperfection, l’esthétique épurée de la danse jure avec le chaos des émotions, et le violeur se balance de manière grotesque sous le faîte du théâtre. Au bord de la scène, on voit Jan Lauwers jouer de la musique et jacasser avec les autres en profitant pleinement de son spectacle, de sa danse macabre. La mise en scène, c’est être Dieu et le diable dans ses propres pensées. […] Lauwers nous jette à la figure sa vision du monde avec un tel culot que cela en devient une bombe à fragmentation qui ne laisse pas indemne. Ce spectacle contient davantage d’idées puissantes que l’œuvre entière de beaucoup d’autres artistes. C’est un privilège réservé aux grands que de ne pas avoir à être avares de leur inspiration. Une source intarissable.

Needcompany
Performers weNEEDmoreCOMPANY Invisible Time Contact
 
productions
Jan Lauwers Grace Ellen Barkey Maarten Seghers arts de la scène arts visuels Film
 
dates de tournée
Calendrier
 
Publications
Livres Musique Film
 
Bulletin
S'inscrire Archive
NEEDCOMPANY  |  info@needcompany.org  |  Privacy  |  Pro area
This site uses cookies. By continuing to browse the site, you are agreeing to our cookies policy.