Une autocélébration déjantée, le voyant aveugle en sept portraits
Pieter T’Jonck - De morgen (18 mai 2015)

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‘Le poète aveugle’ de la Needcompany est le portrait d’une troupe qui, dans son errance de par le monde, d’un théâtre à l’autre, partage les joies et les peines de la vie comme une grande famille. C’est à la fois une critique acerbe de l’étroitesse d’esprit de l’Europe actuelle. Mais surtout, c’est deux heures d’un théâtre fantastique, enthousiasmant, émouvant, drôle et tragique.

Le ton est donné d’emblée lorsque Grace Ellen Barkey monte sur scène pour dresser son autoportrait. Elle porte une tenue indonésienne traditionnelle, avec une couronne, mais son visage est maquillé comme celui d’un clown européen. Ses chaussures démesurées font également penser davantage à un clown qu’à une danseuse.

Pourtant, elle ne se rend compte de rien. Elle savoure la sonorité de son nom, et le répète sur tous les tons possibles, du gracieux au viril et rauque. Elle le fait de plus en plus vite, jusqu’à scander son nom en criant et en tapant des pieds, encouragée par l’ensemble dans la fosse d’orchestre.

Pour ‘la Barkey’, cette autocélébration déjantée n’est que normale, car à l’en croire, elle est un miracle multiculturel, avec du sang indonésien, chinois, allemand et hollandais dans les veines. Mohamed Toukabri intervient spontanément : ‘Tu es peut-être un miracle multiculturel, mais moi je suis la monoculture la plus pure’. Avant de repartir aussitôt.

Ensuite, c’est à Maarten Seghers que Jan Lauwers laisse la scène pour s’auto-encenser. Mais les choses prennent une autre tournure. Son arbre généalogique, quarante générations de forgerons, l’entraîne vers le Moyen Âge et les croisades. Une cruelle histoire de chevaliers qui mangeaient des enfants parce que les chevaux étaient trop précieux. Un cheval mort, exposé sur un gigantesque levier, illustre la chose de manière très graphique.

Avant l’entracte, Hans Petter Dahl en Anna Sophia Bonnema défilent à leur tour. Dahl correspond entièrement au cliché du Viking hâbleur et viril. Mais là aussi, le mythe prend un coup dans l’aile : il a laissé un jour se noyer quelqu’un parce qu’il était trop défoncé ou qu’il avait trop peur de plonger dans l’eau. Ces gens-là ne sont pas de véritables héros, malgré leurs grandes gueules et leur vantardise quand ils parlent d’histoires grandioses et de suprématie culturelle.

Voilà ce que confie Anna Sophia Bonnema dans son portrait juste avant l’entracte : ‘Je suis tout le monde et le monde c’est moi. Et voilà pourquoi il est bon que nous ne parlions que de nous-mêmes. Car c’est cela la véritable histoire. C’est cela le véritable amour. Tout le reste n’est que faux en écriture.’ Entendez : tout le verbiage identitaire ne justifie que l’étroitesse d’esprit et la faiblesse dont nous ne savons que faire.

Après l’entracte, le grand spectacle est de retour lorsque Benoît Gob se vante de sa jeunesse. Même si celle-ci est une histoire tragique de maltraitance. L’ensemble est ici au sommet de son art : depuis la fosse d’orchestre, de ses guitares hurlantes, il porte cette épopée d’un blouson noir. L’espace d’un instant, le thème de la multiculturalité semble oublié, mais il revient en force avec Jules Beckman, un Américain d’origine juive russe. Il s’avère que lui non plus n’a pas eu une jeunesse très heureuse.

Pendant ce temps, deux objets gigantesques font leur entrée sur la scène : des pièces d’échecs abstraites qui s’affrontent à la lance. Le Moyen Âge et les croisades font leur come-back. Mohamed Toukabri, le dernier à passer, enchaîne là-dessus, avec l’autoportrait le plus confus. Il monte sur les planches en Tunisien bling-bling, qui n’arrête pas de répondre à son portable, malgré qu’il soit en scène. Le cliché parfait. L’image que nous nous faisons des Arabes.

Cependant, lorsqu’il plonge dans son histoire, il y puise un poème du poète aveugle Abu al’ala al Ma’arri (973-1053). Déjà, celui-ci nous enjoignait à ne pas accuser le monde des fantômes qui n’habitent que dans notre tête. C’est exactement ce que veut aussi nous faire sentir Lauwers, qui conclut par une image finale fantastique, fantomatique, qui laisse perplexe.

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