"Le poète aveugle", mis en scène par Jan Lauwers, est probablement la création la plus remarquable de cette édition de FIBA.

Le poète aveugle est une expérience esthétique intégrale qui transcende la scène et ses conventions. Le spectacle est probablement le plus remarquable du X FIBA. La création du belge Jan Lauwers et de la Needcompany s'articule autour de plusieurs mouvements. Son élément central est constitué des sept "portraits" des membres de la compagnie, qui se succèdent l'un après l'autre pendant deux heures et demie.

Sur scène, sept nationalités, qui sont autant de corps en immersion biographique prenant appui, non seulement sur l'arbre généalogique de chaque protagoniste, mais mettant aussi en évidence les incidences présentes de ces récits sur l'identité. Parler des origines revient à évoquer la condition humaine dans son essence violente. Et le théâtre est le terrain constitué par la violence en soi dans le sacrifice depuis ses débuts. Qu'est-ce si ce n'est un performer/acteur/interprète immolé, représentation après représentation, en un rituel dont l'origine remonte à plus de mille ans et se poursuit encore?

Les récits des sept biographies du « poète aveugle » imprègnent le spectateur et ne le lâchent plus. Ainsi, au début du spectacle, Grace Ellen Barkey, chorégraphe fondatrice de la Needcompany, narre son parcours depuis l'Indonésie jusqu'à son mariage avec Jan Lauwers en Belgique. Elle parle du syndrome de Lynch dont elle souffre et qui la lie au cancer par prédisposition génétique. Cet aspect tragique de son lignage jouxte d'autres zones de l'œuvre dans lesquelles l'humour se taille la part belle.

Jan Lauwers a créé un spectacle fait de collisions entre la danse, le théâtre, la musique et les arts visuels. Fondée en 1986, la Needcompany est une compagnie théâtrale, mais aussi un groupe de rock qui ne démérite pas. Dans la fosse du Martín Coronado, les musiciens qui ont pris place sont les protagonistes de la compagnie qui, après avoir abandonné leurs instruments, racontent tour à tour leur histoire.

Un élément commun émerge dans plusieurs portraits: la figure du poète syrien Abu al 'ala al Ma'arri (973-1058), qui portait le surnom ayant donné son titre au spectacle. Il ne s'agit nullement d'une excentricité anthropologique. De son vivant, Al Ma'arri (973-1058) mit en question la conception religieuse, aussi bien musulmane que chrétienne. Il croyait en la transcendance de l'homme, faisant fi des conditionnements de son époque. En ces temps de crise du multiculturalisme européen, cette œuvre plante un concept de rupture, non pas dans le sens politiquement correct de l'intégration, mais en faisant un pas en arrière: en abordant le problème consistant à assumer l'horreur de l'origine et à essayer de la transmettre.