Métamorphoses en série pour un ombilic des limbes revu et rectifié aux couleurs de l'Indonésie, qu'Artaud chérissait tant et où naquit Grace Ellen Barkey - à Surabaya -, chorégraphe présente aux côtés de Jan Lauwers depuis la fondation de la Needcompany. Chunking emprunte à l'histoire de la chorégraphe la fantaisie et la polychromie chatoyantes qui font signe d'emblée. Ce que nous allons voir s'apparente davantage au merveilleux qu'au banal; quittons donc le réel pour nous enfoncer dans l'onirisme le plus débridé et le plus insolent. Pas de décor en carton-pâte pour ce cirque ambulant, mais un amoncellement, une installation, au sens propre, de panneaux recouverts de papiers peints aux teintes multicolores. Ce trop plein incite au déplacement, aux jeux de constructions ou de fragmentations du plateau. Théâtre, danse et cirque trafiquent ici avec la performance, acte subjectif et plastique. Les quatre interprètes jouent comme des gosses à obéir et désobéir aux .ordres d'un "directeur de cirque" rigolard et flambeur. L'évocation du Jardin des délices de Jérôme Bosch vient enrichir la palette de couleurs de la chorégraphe et donne le la pour d'hilarantes copulations collectives pour corps et vases - l'accessoire le plus flamand du moment, pour ne pas dire l'élément de base de L'Histoire des larmes, créé par Jan Fabre au festival d’Avignon ... Le rêve loufoque qui habite Chunking se déroule comme une valse à trois temps sur les musiques de Maarten Seghers, également interprète, Giacinto Scelsi et Sonic Youth : on démarre en fanfare pour s'abîmer peu à peu dans la disparition de toute figure ou posture humaine, au profit de dégaines animalières -les somptueux costumes et masques, tout comme le décor, sont signés Lot Lemm tressautantes; minaudantes ou déplaisantes. A Jan Lauwers, le mot de la fin, juste et incisif: "Chunking est un spectacle insaisissable et légèrement hystérique." C'est bien pour ça qu'on l'aime.