Les nombreux visages de la danse
Pieter T'Jonck - DE TIJD (22 octobre 2005)

Au mois d’octobre, le Kaaitheater de Bruxelles propose une longue série de spectacles de danse et de performance, confirmant ainsi la place unique qu’occupe ce lieu en tant que carrefour européen du théâtre expérimental de qualité. La semaine dernière, nous avons pu le vérifier avec ‘Chunking’, de Grace Ellen Barkey avec Needcompany. Grace Ellen Barkey est membre de la Needcompany de Jan Lauwers, mais depuis 1992, elle met également en scène ses propres spectacles. Avec ‘Few Things’ et ‘(And)’, elle a incontestablement trouvé un ton qui lui est propre. Pour ces spectacles, elle était partie du ‘Mandarin merveilleux’ de Bartok et de ‘Turandot’ de Puccini pour aboutir à des spectacles de danse chaotiques, presque burlesques, lardés de fortes doses d’énergie punk. Barkey pratiquait ici une archéologie à contre-courant : elle mettait au jour l’émotion brute qui se cache derrière la surface polie de ces célèbres récits. Résultat : des images souvent incroyablement directes. ‘Chunking’ aussi se distingue par des images perturbatrices, même si cette fois, Barkey s’est inspirée non pas de l’opéra, mais du ‘Quatuor à cordes #3’ de Giacinto Scelsi et de ‘Kill your idols’ du groupe punk Sonic Youth. L’art plastique est une autre source d’inspiration, en particulier l’œuvre de l’artiste américain Mike Kelley. Par exemple, le paysage scénique, signé Lot Lemm et Barkey, est composé de grands panneaux en matière synthétique, tapissés de papier peint d’un goût douteux. Ils constituent un dédale mobile de camelote industrielle. Justement, c’est ce genre de camelote qui constitue la toile de fond de l’œuvre provocatrice de Kelley, qui met en évidence les mensonges, les perversions et la violence de la société américaine. Référence encore plus évidente à Kelley : les costumes grossièrement tricotés que trimbalent les cinq performers dans la dernière partie du spectacle. Ainsi fagotés, ils font irrésistiblement penser aux poupées enfantines de Kelley, qui s’en sert pour s’attaquer au mythe doucereux de l’enfance heureuse. L’influence de Kelley se traduit également dans l’action elle-même. Au départ, on dirait un spectacle rigolo, une ‘Commedia dell’arte’ peuplée de personnages absurdes emmenés par Benoît Gob. Pourtant, cet entrain est très vite tempéré par une note sombre, une touche de malaise. Barkey et Julien Faure s’accouplent comme des petits chiens. Tijen Lawton offre son corps vêtu de lingerie sexy, sur laquelle est cependant brodé un visage triste. Maarten Seghers se promène à la façon d’un céphalopode donc les tentacules se baladent sur les parties intimes de Tijen Lawton. Ces images excentriques à connotation explicitement sexuelle se font de plus en plus nombreuses. Ce n’est donc pas excessif si, outre Mike Kelley, le programme mentionne également Jérôme Bosch parmi les références. Ce qui met mal à l’aise dans ce spectacle, c’est que le cirque sympa et l’excentricité érotico-pornographique semblent aller main dans la main. Les comédiens savent parfaitement comment captiver et amuser le public, mais en même temps, ils ‘oublient’ de cacher leurs obscénités ou de les rendre présentables. Comme s’ils montraient malgré eux leurs désirs et leurs malaises. A la fin du spectacle, déguisés en poupées, ils vont même jusqu’à démolir le décor, ce qui laisse un étrange arrière-goût à la dernière scène ‘comique’. Les poupées viennent poser ensemble, comme une rangée de poupée dans une chambre d’enfant. L’image est hautement ambiguë. On y lit évidemment l’innocence enfantine, mais de par ce qui précédait, on y goûte aussi des désirs bizarres. Le titre du spectacle lève un coin du voile. ‘Chunking’ est un terme du jargon de la psychologie qui désigne la façon dont l’homme fragmente l’information en petites parties afin de la comprendre et de la retenir. Ainsi, le monde est ordonné et accessible. Ce spectacle fait tout le contraire : il rassemble en un grand fatras tout ce que nous pensons et ressentons. Comme si on avait, l’espace d’un instant, une vue plongeante sur tout ce qui se passe dans un crâne. Apparemment, il s’y passe des choses plus étranges qu’on voudrait bien le croire.

Needcompany
Performers weNEEDmoreCOMPANY Invisible Time Contact
 
productions
Jan Lauwers Grace Ellen Barkey Maarten Seghers arts de la scène arts visuels Film
 
dates de tournée
Calendrier
 
Publications
Livres Musique Film
 
Bulletin
S'inscrire Archive
NEEDCOMPANY  |  info@needcompany.org  |  Privacy  |  Pro area
This site uses cookies. By continuing to browse the site, you are agreeing to our cookies policy.