Nu au milieu des tessons
Peter Jungblut - Kulturwelt BR (23 août 2019)

Un soldat d'élite devient danseur et la question de savoir à quel point Israël est « idiot » est posée : le performeur belge Jan Lauwers et sa Needcompany ne craignent pas la provocation. Le résultat était une soirée dérangeante et galvanisante sur l'art et la vie. 

Quelle carrière ! Quelle vie ! L'homme était soldat d'élite, il a tué des activistes du Hezbollah lors de missions secrètes au Liban, a été blessé par balle aux jambes, a démissionné, a étudié la danse classique malgré ses os endommagés et s'est installé comme danseur professionnel en Allemagne. Nu comme un ver, Elik Niv est à présent couché dans la machinenhalle de Gladbeck-Zweckel, monument industriel. Il joue son propre rôle et raconte comment il est tombé amoureux d'une Belge et a complètement contrarié la famille de celle-ci, des artistes critiques vis-à-vis d'Israël. 

Un chien aux cordes vocales sectionnées

Elik Niv a tué onze personnes, prétend-il. Il a coupé une oreille à chaque cadavre, comme le veut l'usage et comme preuve génétique du succès de la mission. Un chien aux cordes vocales sectionnées l'accompagnait toujours, servant d'alarme muette, parce que les animaux peuvent entendre jusqu'à un kilomètre de distance. Et ils transportaient des explosifs et des robots autodestructeurs sur un terrain accidenté. Est-ce vrai ? Les spectateurs sont perplexes, le récit de vie est authentique, les anecdotes sanglantes peut-être pas, et l'aliénation générale est évidemment recherchée consciemment.

Bohème à Bruxelles-Molenbeek

L'homme de théâtre belge Jan Lauwers a croisé le chemin d'Elik Niv et a décidé de mettre sur pied un projet autobiographique avec lui. « Tout le bien », une soirée dérangeante mais gratifiante sur la vie de bohémiens précaires d'aujourd'hui, sur le groupe d'acteurs Needcompany de Jan Lauwers à Molenbeek au temps du terrorisme et du conflit persistant au Moyen-Orient. Tous les artistes s'opposent aux meurtres, au métier de soldat et au fond aussi à la politique israélienne. Et puis la fille arrive à la maison avec Elik Niv, couche avec lui, filme ses parties génitales en gros plan, se moque de lui, trouve son corps sexy.

Cette partie de l'histoire est bien sûr imaginaire, mais les frontières entre la réalité et la fiction sont consciemment floutées. Jan Lauwers lui-même mène la soirée, présente l'acteur qui va l'incarner lui, raconte la vie de toutes les personnes impliquées : sa femme créative, son fils rebelle, la muse brésilienne de celui-ci, sa fille, quelques musiciens (dirigés par Maarten Seghers) qui sont aussi présenté comme renard, rat ou corbeau. Pendant deux heures est reproduite la vie commune dans l'atelier. Jalousie, incartades, nombreux débats sur l'art et même la distance avec Elik Niv, qui est plus toléré qu'apprécié et au final doit répondre à quelques questions embarrassantes : à quel point Israël est-il « idiot » et quel est l'impact sur lui du fait de tuer.

L'art n'accepte pas les compromis

Il faut le reconnaître, suivre tous ces niveaux et toutes ces langues est très fatigant. On y parle en effet hébreu et flamand, anglais et français, avec même quelques phrases en allemand. Mais ça reste une soirée incroyablement dense, parfois sarcastique, puis à nouveau oppressante ou satirique sur la vie entre l'art et la réalité. Jan Lauwers rejette en conséquence le théâtre politique, qui transforme la politique en art et l'art en politique et il considère les deux comme dangereux. Les artistes ne doivent pas accepter de compromis ou présenter des solutions qu'on attend de la politique. On en reste ainsi à des débats esthétiques et quelques descriptions révélatrices. 

Des objets en verre en provenance d'Hébron

On parle du gigantesque tableau de Picasso « Guernica », de l'urinoir de Marcel Duchamp au titre déroutant de « Fountain » et on se demande pourquoi il n'avait rien de mieux à faire pendant la Première Guerre mondiale (1917). Et tout à fait à la fin est montrée et expliquée en détail la dévastatrice Descente de croix de Rogier van der Weyden de 1440. Mais pourquoi ? Quel est le lien avec le terrorisme et le Moyen-Orient ? La question est si l'on peut encore trouver le Bien quelque part dans ce sombre monde. La réponse, pas étonnante, de Jan Lauwers : « C'est à chacun de le poursuivre lui-même et de continuer à regarder, surtout les grandes œuvres d'art, pour découvrir la vérité.  Au sens figuré, cela vaut d'autant plus pour les gens. 

Sur scène on peut voir 800 objets en verre, soufflés par un artisan palestinien de Hébron, Mahmoud. Ils pourraient symboliser des larmes ou des gouttes. Quelques-uns se cassent, il y a des éclats partout. L'angoisse est grande que quelqu'un s'y blesse, surtout parce que certains dansent pieds nus. Quelle idée visuelle brillante, quelle expérience théâtrale mûrement réfléchie ! 

Needcompany
Performers weNEEDmoreCOMPANY Invisible Time Contact
 
productions
Jan Lauwers Grace Ellen Barkey Maarten Seghers arts de la scène arts visuels Film
 
dates de tournée
Calendrier
 
Publications
Livres Musique Film
 
Bulletin
S'inscrire Archive
NEEDCOMPANY  |  info@needcompany.org  |  Privacy  |  Pro area
This site uses cookies. By continuing to browse the site, you are agreeing to our cookies policy.