Toute la vie dans une bulle
Karin Fischer - Deutschlandfunk (23 août 2019)

Beaucoup de verre, de la poésie musicale et les thèmes d'actualité de ce monde : le collectif Needcompany présentait une soirée théâtrale exubérante et troublante, mais aussi délicieuse dans la Maschinenhalle de l'ancienne mine Zweckel à Gladbeck.

La plus grande partie de l'espace est un cadre rotatif rempli de vases sphériques en verre. Ça ressemble à un arbre ou à un monstre marins à tentacules, mais ce sont peut-être aussi les larmes d'Allah, qui sait ? 800 boules de verre symbolisent la fragilité, l'indétermination et la beauté qui sont toujours le moteur de Needcompany.

Jan Lauwers a visité Hébron et y a rencontré le dernier souffleur de verre en activité. Les scènes de Lauwers sont toujours des espaces de travail et d'art qui laissent place à l'extravagant, au fabuleux et à l'incompréhensible. Le personnel domine. C'est pour cela que toute sa famille se trouve sur scène : femme, fille, fils, neveu. L'ancien soldat israélien Elik Niv, que Lauwers avait rencontré auparavant, arrive lui aussi avec son incroyable histoire dans le jeu : Elik était membre d'une unité spéciale qui assassina des membres du Hezbollah dans une mission secrète au Liban. A présent, il est le grand amour -fictif- de la fille de Lauwers, Romy. Il essaie de faire carrière en tant que danseur après avoir été blessé. La mère, Grace Ellen Barkey, l'interroge sans compassion sur le nombre de personnes qu'il a tuées et sur ce qu'il en a pensé. Les attentas de Bruxelles en 2016 jouent aussi un rôle important, en partie parce que Lauwers et Needcompany sont implantés à Molenbeek, d'où provenaient les terroristes. 

Le monde entier sur une scène

Et pourtant il ne s'agit pas d'art politique, ni du conflit au Moyen-Orient, ni de religion. Ça parle d'amour et de douleur, de souffrance et d'art, d'identité et de cette question : qui peut raconter quelle histoire ? Ou d'un autoportrait de l'artiste en « vieil homme revêche » à la recherche de sens et d'expression. Lauwers lui-même ne joue qu'un rôle marginal et se laisse incarner par le grand et extrêmement présent Benoît Gob. L'histoire de l'art sert de toile pour convoquer des femmes fortes et tombées dans l'oubli comme Camille Claudel ou Artemisia Gentileschi, la « muse abusée ». Une des comédiennes se blesse donc elle-même continuellement -l'art est, comme la guerre, fait de sang. De formidables parures de tête sont passées en revue, un musicien apparaît comme un pigeon gris, un Américain avec des dents de castor comme une voix du politiquement correct et de la raison. 

L'art et la vie se fondent fortement et de manière très explicite : l'« Origine du monde » de Gustave Courbet -l'image du bas-ventre d'une femme nue qui fit scandale- fait face à l'intérieur du vagin de Romy, qu'elle explore de manière innocente et poétique à l'aide d'une mini caméra. La femme de Lauwers a pour la première fois une relation extraconjugale via Tinder, une scène qui met sincèrement mal à l'aise et dans laquelle on joue enfin. 

Un poétique puzzle visuel

Le cosmos singulier, exubérant et continuellement surchargé de Lauwers mêlant art et famille pourrait agacer. Au final, ce qui domine aussi dans « Tout le bien », c'est l'étonnement sur la quantité d'histoires, de chaos, d'art et même de monde que la pièce contient et le nombre de vraies questions qu'elle soulève, allant de pair avec une bonne dose d'entertainment et beaucoup de poésie -surtout musicale. Cette manière d'aborder la complexité du monde crée un grand puzzle visuel de deux heures, qui exprime le sens de la vie de manière plus colorée que ce que l'art conceptuel ne pourra jamais. A la fin du spectacle, Lauwers amène la Descente de Croix de Rogier van der Weyden, un célèbre tableau du 15e siècle. Le peindre, prétend Lauwers, s'est mis au service de quelque chose de bien supérieur à son identité. C'est probablement la clé de cette pièce sauvage, « grande » dans le sens ancien du terme, empathique et chaleureuse. 

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