L’invasion des champignons, une performance excentrique
Nicole Strecker - Deutschlandradio Kultur (24 mars 2013)

Il est probable que les champignons règneront encore sur la terre lorsque l’humanité aura été effacée par l’apocalypse. Dans Mush-Room, Grace Ellen Barkey présente la rébellion des champignons dans une chorégraphie qui tient du génie. Quoi qu’il puisse arriver, ils resteront. Les civilisations peuvent périr, une apocalypse peut emporter l’humanité entière, mais les champignons, et leurs myriades de spores, on peut parier qu’il en subsistera dans l’un ou l’autre recoin de cette terre. « We are mushroom », tel est le cri de guerre des mycètes. Et le premier endroit où ils célèbrent leur inextirpable présence, c’est le théâtre. Ici, les champignons ne surgissent pas du sol : dans le superbe décor de la scénographe Lot Lemm, de gigantesques champignons en papier, au bout de câbles tendus dans les airs, chapeau vers le bas, font des cabrioles, comme un signal indiquant que chaque bouffée d’air que respirent les hommes est saturée de leurs spores. Le monde ne cesse de faire le poirier sur la scène de la chorégraphe Grace Ellen Barkey. Cofondatrice de la compagnie belge Needcompany, cette danseuse d’origine indonésienne est bien connue pour sa présence éthérée, sensible tout autant que sensitive, dans les récits obscurs et bizarres de Jan Lauwers. Récemment encore, elle incarnait une icône féminine de la douleur dans le spectacle sur l’abus d’enfants au village et la discrimination raciste présenté par Lauwers à la Ruhrtriennale. Les spectacles créés par Grace Ellen Barkey elle-même sont différents, moins écorchés vifs, moins critiques. L’élément de Barkey, c’est le regard qui embrasse l’univers, comme une hippie un peu attardée pour qui la véritable rébellion, c’est un voluptueux pétage – une anarchie à base de sexe, de drogue, et dans ce cas, de musique d’avant-garde des années 70. La musique du nouveau spectacle de Barkey a été composée par « The Residents ». Un groupe mythique et culte, qui depuis de décennies veille à son image de « Thomas Pynchon » de la pop. Personne ne sait à quoi ils ressemblent ; lors de leurs concerts ils apparaissent déguisés, par exemple le visage dissimulé derrière un masque représentant un globe oculaire. Et il se pourrait bien qu’une de leurs mascarades ait été une source d’inspiration pour ce spectacle MUSH-ROOM : il y a pratiquement 40 ans, ils parodiaient les Beatles – les têtes de champignons les plus célèbres de la planète. Sur les sons cosmiques tissés de citations des « Residents », les danseurs convoqués sur la scène par Grace Ellen Barkey s’essaient à une sorte de révolte des nains. Ils sont coiffés de curieux couvre-chefs, bonnets pointus par derrière, par devant un mélange de bandage facial et de passe-montagne de braqueur de banque. Moitié gueules cassées, moitié truands. Le champignon – un looser qui se lâche et engage le combat. Pour rendre hommage aux maîtres de la forêt et du monde, la chorégraphe Grace Ellen Barkey crée une suite de « comigraphies » inédites. Un performeur, mieux qu’un gourou yoga, emmêle et noue ses membres de façon si virtuose qu’on ne sait plus où sont le haut et le bas de l’être unicellulaire qu’il figure. La magnifique danseuse Sung-Im Her, spore érotisé, érotisant, se love seins nus dans un cocon affectant la forme d’un long boyau. D’autres, pris d’un irrépressible besoin de reproduction, roulent l’un vers l’autre pour s’entrechoquer avec une gaucherie virtuose – ce sont des maniaques copulant sans retenue, et sans savoir ce qui doit aller où. Entre les actions, des harangues au public. Des textes grotesques, sans queue ni tête, dans lesquels les champignons invoquent la venue du Magic Mushroom ou, avec des poses vulgaires, reprochent aux humains leur statut de mangeurs de champignons et leur rappellent que des mycètes, il en pullule partout dans le corps humain. De cette soirée, beaucoup d’éléments ne prétendent pas à autre chose qu’à une extravagante pochade, ce qui n’empêche pas la mise en scène d’être géniale de bout en bout. Toute révolution est habitée par l’irrationnel, et avec toute révolte, c’est l’anarchie, la démesure et l’outrance qui guettent. Cela aussi, c’est ce que raconte la performance excentrique de cette invasion de champignons présentée par Grace Ellen Barkey. Mais sa rébellion ne propage ni violence, ni colère – seulement une horrible, une irréductible hilarité.

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