Parce que les femmes sont extrêmement importantes
Pieter T'Jonk - DE TIJD (21 septembre 2004)

Jan Lauwers à propos de « La chambre d'Isabella », de Needcompany Chez Needcompany, l'ambiance est joyeuse. Et pour cause. « La chambre d'Isabella », la nouvelle pièce de Jan Lauwers, a été reçue de manière particulièrement enthousiaste au festival d'Avignon, et à Bruxelles aussi c'est l'engouement. Avant les représentations à Bruxelles, nous avons eu un entretien avec Jan Lauwers, qui nous parle d'un « spectacle blanc » avec une « maîtresse femme » dans le rôle principal. « Dans la littérature aussi, on trouve très peu de portraits de maîtresses femmes. » Nous lui demandons qui est, au juste, Isabella. Jan Lauwers nous raconte une histoire à ce propos. « Quand mon père est décédé, il y a deux ans, il m'a laissé en héritage environ 5800 objets ethnologiques et archéologiques. Mon père était médecin, mais à ses heures il était aussi ethnographe amateur. Enfant, ça n'a jamais suscité de questions chez moi : j'ai grandi parmi ces objets. Après coup, on se demande évidemment ce qui suscitait cette passion. Quand on se retrouve avec cette collection sur les bras, on doit de surcroît décider quoi en faire. C'est également une question éthique, car nombre de ces objets ont sans doute été dérobés à ceux qui les ont réalisés, et se sont ainsi retrouvés dans un contexte qui n'est pas le leur. Tout cela m'a amené à écrire une histoire à propos de cette collection. Bien entendu, elle contient beaucoup d'éléments (auto)biographiques. Mais l'histoire est racontée par une femme, Isabella Morandi, qui en réalité n'a jamais existé. Son récit commence en 1910 et il va jusqu'à nos jours. Cela donne par la même occasion un panorama du siècle passé. Elle étudie la collection et rêve de se rendre en Afrique. Mais cela ne se fera jamais, à l'exception d'un passage éclair. » Ce nom de famille fait-il référence au peintre italien Giorgio Morandi, qui toute sa vie n'a peint que des natures mortes sans éclat ? Jan Lauwers : « En effet, c'est une référence à ce peintre. C'est un petit clin d'œil. Parfois, je voudrais être un de ces artistes qui sont capables de se concentrer sur une seule chose pour en extraire la quintessence. Alors que moi, au contraire, je ne tiens pas en place. Je fais toujours quatre choses à la fois. Mais c'est justement pour cela aussi que je déteste ce personnage. Je ne dirais pas qu'Isabella Morandi est mon alter ego. J'ai opté pour une narratrice plutôt que pour un narrateur surtout parce que je trouve que les femmes sont extrêmement importantes, et qu'elles ne reçoivent jamais la place qui leur revient. Dans la littérature et au cinéma aussi, on trouve très peu de portraits de maîtresses femmes. Je voulais créer un pendant féminin à des personnages mythiques comme Zorba le Grec, ou Marc Antoine chez Shakespeare. Qui pouvait mieux l'incarner que Viviane De Muynck ? Mais bien entendu, c'est la mort de mon père qui a été le point de départ de cette pièce. » Pourtant, Lauwers n'a pas voulu tout focaliser sur son père. « Par conséquent, j'en ai fait l'histoire d'une femme et des hommes qui ont joué un rôle dans sa vie. De nombreux éléments biographiques s'y insinuent. En définitive, tous ces personnages forment ensemble une image de qui je suis, et où j'en suis. Mais dès que la pièce a existé, j'ai préféré m'en effacer le plus possible. Cela peut sembler paradoxal, mais c'est justement pour cette raison que cette fois-ci, je joue moi-même dans la pièce. C'est-à-dire, je suis présent sur la scène, mais sans avoir clairement un rôle ou une place. Pas comme Tadeusz Kantor, qui donnait ses indications sur la scène. On pourrait dire que le simple fait que je sois présent sur la scène sans participer à l'action fait en sorte qu'il ne s'agit plus de moi. Je considère la scène comme un espace mental dans lequel on peut réfléchir sur les choses. D'où le titre, aussi, « La chambre d'Isabella ». Légèreté De nombreux spectateurs à Avignon ont remarqué que c'est une pièce inhabituellement légère pour lui. Jan Lauwers : « Par le passé, j'ai souvent fait des spectacles « noirs ». « Morning Song » a été un tournant à ce point de vue. Comment cela se fait ? Ce qui se passe actuellement sur la scène du monde réel me pèse énormément. De plus, il y a eu, récemment, la mort de mon père. C'est sans doute pour cela que j'avais besoin de faire un spectacle « blanc ». Je voulais que cette pièce donne un peu de bonheur aux gens. A Avignon, quelqu'un a même dit que j'étais l'optimiste du Festival. Ce n'est pas que je fais des compromis. Je traite toujours les mêmes thèmes '“ l'érotisme, le pouvoir, la mort '“ mais cette fois-ci, les comédiens ménagent le public. Par exemple, il y a une structure narrative très claire dans cette pièce. Les spectateurs reçoivent donc les images d'une façon moins brutale. Apparemment le côté autobiographique plaît également, même si, je le crains, c'est surtout parce que personne de nos jours ne sait encore très bien quoi faire de l'art. Le contexte pour y réfléchir ou pour en juger semble tellement lointain qu'on préfère se concentrer sur la biographie de l'artiste. Et puis, cette pièce est une espèce de comédie musicale. Et la musique est une puissante séductrice. Elle entraîne le spectateur en un tournemain. Et ça, j'en ai largement abusé. Les compositeurs Hans Petter Dahl et Maarten Seghers m'y ont grandement aidé. Le CD de la « bande originale » est en vente, et dans les jours qui ont suivi la première à Avignon, on l'entendait résonner à travers les fenêtres ouvertes. J'en conclus que « La chambre d'Isabella » touche un public très large. » Limpidité Cette large audience fait très plaisir à Jan Lauwers. « J'ai beau passer pour un membre de l'élite ascétique, quelqu'un qui préfère James Joyce à Gabriel García Márquez, je ne méprise pas Márquez pour autant. Il enveloppe le fond de son œuvre dans une forme plus directe, mais le fond de son œuvre n'en est pas inférieur pour autant. D'ailleurs, on pourrait facilement se faire une fausse idée de cette pièce. Ça paraît tout simple de prime abord, mais cette limpidité n'est qu'une apparence. On peut comparer cela aux films de Lars Von Trier : « Dogville » est un récit clair, linéaire, mais il cache plus que ça. J'essaye, moi aussi, de réétalonner la définition du théâtre d'une façon similaire. » Quel rapport entre son œuvre théâtrale et son activité d'artiste plasticien ? Lauwers : « Le théâtre pose d'autres questions que l'art plastique. Un comédien est-il un artiste, par exemple ? Comment se positionne-t-on par rapport au public ? Est-il vrai, comme le dit Louise Bourgeois, que les applaudissements sont une forme de terrorisme de l'esprit ? L'évolution du théâtre nous enseigne, par exemple, que jadis, on explorait les limites du théâtre dans de petites salles expérimentales, tandis que les grandes salles étaient entièrement acquises aux bourgeois. A cette époque, on pouvait encore choquer le public. Aujourd'hui, tout cela est différent. A Avignon, j'ai été frappé par le fait que festival off ne produit plus que des œuvres conservatrices, divertissantes, tandis que la sélection officielle propose un théâtre expérimental, provocateur. Mais dans un lieu qui est complètement récupéré par la bourgeoisie et le pouvoir. Quoi qu'on fasse, il n'est plus possible de choquer qui que ce soit. Quels codes inventer, dans ce cas, pour mettre tout cela en mouvement ? Dans les arts plastiques, c'est différent. Là, on se préoccupe de ses propres questions. On s'y crée son propre espace mental. Un espace de liberté. »

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