La vierge à l'eau
Fabienne Arvers - LES INROCKUPTIBLES (-- avril 2004)

Entre danse et théâtre, la Needcompany s'offre une triple actualité parisienne, dont un (AND) ondulatoire et humide, où une princesse transforme son château en aquarium géant. Ils sont là, immobiles dans la pénombre, de part et d'autre du plateau, dans une attente commune avec le public. Et l'histoire commence, ou plutôt le spectacle, aussi naturellement que si l'on entendait 'Il était une fois'?'¦ Glissant devant ou derrière l'estrade surmontée d'un cadre de tissu, unique élément de décor, ils jouent d'emblée la simultanéité des lieux, des actions, des sentiments et des stratégies. Et pour ce faire, slaloment dans un même chassé-croisé, entre danse, théâtre, chant et musique. Avec un penchant vif pour la parodie, autrement dit la remise au goût du jour de la plus traditionnelle des pratiques théâtrales, la marionnette, et sa métaphore éternelle : le déroulé mécanique et automatique d'un destin qui nous rend impuissants. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l'amour, nous redit Grace Ellen Barkey, piochant pour chacune de ses chorégraphies dans la littérature. Jean Genet pour Tres (1995), Tolstoï pour Stories (1996) ou sa trilogie autour de Béla Bartók, dont Le Mandarin merveilleux lui inspira le subtil et irrésistible Few Things, son précédent opus. Le désir s'y cognait allègrement à la rigidité du monde et de ses mœurs. (And) pointe du nez et du doigt en direction du pouvoir et de son institution fondamentale, le mariage. La parenthèse du titre en dit long sur la mise en suspension de cette articulation censée fonder la relation : entre deux personnes, deux langages, deux cultures'¦ A titre laconique, histoire jubilatoire. En trois pantomimes déroulées derrière le cadre clair, nous voici plongés dans Turandot de Puccini, opéra adapté d'un conte chinois à la fin du XVIIIe siècle par le fabuliste et poète Carlo Gozzi. Ou l'histoire d'une princesse fine mouche qui refuse de liquider sa virginité dans les rets du mariage et fait décapiter tous ses prétendants après leur avoir posé trois énigmes. Un seul, un étranger, trouvera les réponses ; elle le tue à son tour et son château se transforme en aquarium géant ; la princesse devient muette et ceux qui la regardent finissent par oublier ce qu'est un son. Noyade collective au terme d'un refus obstiné, impossible à plier, causant le désespoir des pères. Rage absolue de qui perd son pouvoir, entêtement stupide des prétendants qui se succèdent, intransigeance radicale de celle qui résiste. Le tout mixé à la sauce Grace Ellen Barkey : une poignée d'interprètes qui dansent avec une énergie allègre et un art consommé de l'ondulatoire. Poissons, vagues, ressac, sauts de carpes, vols de poissons-chats, tout y passe et s'enflamme au son de la guitare électrique de Maarten Seghers, juvénile à tomber, beauté androgyne qui fait bien de figurer l'Amour, mais s'y perd à son tour. Pas de quartiers pour la princesse, l'intrépide Tijen Lawton qui interprétait le solo dansé dans No Comment de Jan Lauwers. Ici, une fois qu'elle a planté son regard dans l'obscur de la salle, elle change de robes au gré de ses refus, offre chaque fois une nouvelle facette, une autre danse, un degré supplémentaire d'ironie dans le sourire. Pas comme Zeldina, l'esclave, l'amoureuse, la fidèle '“ la totale ! '“, courageusement prise en charge par la chanteuse jamaïcaine Angélique Willkie, voix grave et veloutée dont on se rappelle encore avec émoi les récits volubiles, alliage de mots et de gestes des mains, dans Rien de rien de Sidi Larbi Cherkaoui. Ici, chacun s'amuse de son rôle et n'hésite pas à le confier au public : un père en colère, ça gesticule. Et ça donne des mouvements légèrement ridicules, entre le théâtre expérimental et le souvenir de Louis de Funès, inoubliable Homo eructibilis. Un côté potache où l'on retrouve la marque de fabrique du clan de la Needcompany fondée par Jan Lauwers en Belgique voici près de vingt ans et qui signe la scénographie de (And). Une vision à la fois simplifiée et agrandie du théâtre oriental, référence de base de Grace Ellen Barkey, née en Indonésie. Tripatouillage des codes orientaux et occidentaux, mélange de trivial et de féerique, tout l'art de Grace Ellen Barkey est là. A l'image de cette princesse balinaise, chargée de tissus et de bijoux qu'elle jouait dans Images of Affection de Jan Lauwers, putain sacrée alpaguant le client et abattant ses tarifs comme la chiromancienne ses cartes. (And) balade ses poissons de cartons, sans oublier de plonger dans les eaux vives de la danse. C'est là que s'y déploie le meilleur du spectacle, l'articulation dramaturgique du récit étant plus convenue et linéaire. Dans la foulée, on retrouvera Grace Ellen Barkey et Jan Lauwers, entourés de nombreux acolytes, dans Needlapb, sorte de laboratoire ambulant et public permettant de jeter librement un coup d'oeil dans les coulisses du monde artistique. Enfin, le film Goldfish Game, présenté comme la prolongation du spectacle Morning Song de Jan Lauwers, nous fera découvrir une autre facette de l'artiste, plasticien de formation avant son orientation vers le spectacle vivant. Mais selon la même injonction de départ: 'En tant que plasticien, j'utilise mon art pour remettre l'art en question.'? Imparable et inépuisable.

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