Il y a des danseurs. Qui sont des acteurs. Ils savourent la déclaration : ‘I am the King with one leg on the ground, my other leg is floating towards the planet earth.’ Une heure pleine d’enthousiasme plus tard, une ballerine, Tijen Lawton, transperce l’air d’un grand écart vertical et tout en hauteur, avant de retomber lourdement à terre. Une performance étonnante. Ce faisant, de son doigt libre, elle désigne son œuvre d’art fragile, une composition en porcelaine. Et aussitôt, chacun dans la salle est rattrapé par la déclaration initiale. Elle est reine dans le monde des danseurs sveltes qui portent des nez en porcelaine, sveltes comme les membres en porcelaine de Benoît Gob, l’homme qui savourait le langage. Avec une prudence extrême, Misha Downey, suprêmement élégant, danse des variations purement téméraires, en prenant bien garde de ne pas briser la porcelaine entre ses jambes. Le phallus blanc remplace à la fois le Viagra et le préservatif. Mais il suffit d’un faux pas pour tout casser. La porcelaine, c’est comme le ballet. ‘Durablement’ fragile. C’est Lot Lemm, céramiste belge qui travaille la porcelaine, qui a créé au Kaaitheater de Bruxelles ce monde carillonnant, en collaboration avec Grace Ellen Barkey, la chorégraphe de Needcompany. A gauche, une table pleine de tasses entassées qui sont régulièrement secouées par un séisme léger mais persistant. A droite, une construction de vases qui font des pirouettes à chaque fois que les six comédiens dansent sur la scène. A l’avant, une formation de pièces d’échecs blanches délimite la scène comme un bataillon bien aligné. Cette scène est comme un rêve – rêve d’un ballet qui ne pourrait pas survivre à un éléphant. La porcelaine est partout. Elle incarne un désir immaculé, mais dès que la danse se fait un tant soit peu trop fougueuse, le recours à la ramassette devient urgent. Barkey fait retentir son ballet blanc comme neige sur les sonorités tonitruantes d’‘Asyia, Opus 17’de Thomas Adès. Une musique de ballet qui, malgré ses violons audacieux et mélancoliques, ne recule pas devant les tambours de jungle et les trompettes d’éléphants. C’est ainsi que Barkey transforme son ensemble en grenouilles, en oiseaux, et en toutes sortes de bibelots en porcelaine. ‘My Kingdom is legs and dancing / My Kingdom is birds and singing’. Tijen Lawton casse son installation en mille morceaux. Au ralenti, elle tombe à terre. Chaque tendon, chaque muscle, chaque spasme est décomposé en éléments sonnants. Deux pêcheurs tentent d’attraper leurs corps désintégrés avec des appâts grands comme des mines antichars. Dans le fond de la scène, et de façon toujours aussi précise, elle remet en service sa machine de guignol défectueuse. Un bricolage archéologique : tendon par tendon, muscle par muscle. Et ce qui en ressuscite est bien plus gracieux qu’une marionnette. C’est cela, sa victoire – et celle de Barkey – sur le guignol du ballet. Un chef-d’œuvre.
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