Amour et solitude en enfer ****
Jan Lauwers propose dans Begin the Beguine une narration claustrophobe sur la solitude, la déception et les faux-semblants. Une représentation qui oscille entre l’arc-en-ciel et le purgatoire.
Le réalisateur, acteur et scénariste américain John Cassavetes (1929-1989) a écrit Begin the Beguine juste avant de sombrer à jamais dans l’alcool. Il n’a jamais pu mettre en scène la pièce de son vivant mais il espérait qu’elle serait jouée au 21e siècle. Durant 25 longues années, le texte est resté au fond d’un tiroir des héritiers de Cassavetes. En attente de la bonne personne et du bon moment. Toutes les pièces du puzzle se sont emboîtées lorsqu’il y a cinq ans, le Burgtheater de Vienne a demandé à Jan Lauwers de mettre en scène le texte. Voici à présent une version retravaillée, avec sa propre fille Romy Louise dans un des rôles phares.
Le tableau se dresse dans un village perdu le long de la côte, quelque part à la limite de l’Europe, “blanc et sablonneux, sans espoir”. C’est le terminus pour deux ratés qui veulent se payer du bon temps une dernière fois avant que leur vie s’écrase au bas de la falaise. Les acteurs espagnols Gonzalo Cunill et Juan Navarro se délectent dans leur rôle respectif de Gito et Morris. Le plan, c’est de s’envoyer en l’air avec des prostituées jusque mort s’en suive, une prémisse qui fait songer au film La Grande Bouffe (1973), dans lequel un groupe d’amis se retire dans une maison de campagne pour manger jusqu’à la mort.
Ce qui, cela va presque de soi, donne à voir une solide dose de chaos existentiel et d’hystérie. Sur la scène, nus et gloussants, ils culbutent les filles qu’ils ont louées, excités par elles. Mais entre deux parties de jambes en l’air, il y a les descentes émotionnelles, les élucubrations noir d’encre et autodestructrices sur la médiocrité de la vie. La conscience d’un vide intérieur qui libère en eux des cris archaïques de panique. Et même si Morris aimerait croire en son “arc-en-ciel du bonheur”, tout porte à croire que ces hommes subissent plutôt les affres de l’enfer.
L’un veut du sexe, l’autre cherche un semblant d’amour. À première vue, cela semble dépassé : les femmes sur scène sont clairement des prostituées, des esclaves sexuelles exploitées qui doivent se plier aux lubies des hommes. Mais en fin de compte, ce sont elles qui tiennent debout et renvoient les hommes à leurs échecs. Tandis que Gito et Morris se recroquevillent autour de leurs désillusions, les femmes en talons aiguilles leur passent sciemment sur le corps.
Begin the Beguine est une œuvre sombre et fiévreuse, aussi flamboyante qu’effroyablement morose. Lauwers a veillé à une mise en images austère, s’aidant de quelques chaises et quelques tringles seulement. Le reste du décor est laissé à l’imaginaire de chacun. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans cette pièce, de chimères, de faux-semblants et d’illusion chauviniste de la masculinité. Les hommes tentent de croire à l’amour des prostituées : “Si je paie, tu pourrais m’apprécier ? Ça ne doit pas être pour du vrai. Fais juste semblant.” Mais c’est la déception et ils n’offrent qu’un triste spectacle d’eux-mêmes. Jan Lauwers signe un trip claustrophobe direction la solitude, la déception et l’éruption de débauche hystérique qui se manifeste quand la fin approche.
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