En quête de l’arc-en-ciel
Guido Lauwaert - Focus Knack (4 mars 2014)

Le dernier acte artistique de John Cassavetes fut l’écriture d’une pièce de théâtre qu’il n’a pas pu monter lui-même. Mais peu avant sa mort, il écrivait à son caméraman attitré qu’il espérait que cette pièce serait jouée au 21e siècle. Les héritiers et les responsables des droits ne voulurent pas confier cette tâche à n’importe qui. L’éditeur allemand S. Fischer a, avec l’accord de Faces Distribution, demandé à Jan Lauwers d’exécuter la dernière volonté de l’auteur. Lauwers n’a rien demandé, il a été sollicité. Plusieurs points ont joué en la faveur de Jan Lauwers. Le fait que le Burgtheater a intégré la pièce à son répertoire et que Jan Lauwers n’a jamais caché qu’il considère John Cassavetes comme son mentor. Begin the Beguine ( * * * * ) est ainsi devenu une coproduction de la compagnie viennoise et de Needcompany. Les rôles ont été convenablement répartis. Les personnages masculins sont joués par deux acteurs du Burgtheater et les différents personnages féminins, que l’on distingue clairement comme tels, par deux membres de la compagnie de Lauwers. Commençons par le commencement Jan Lauwers se nomme un créateur de théâtre. Exceptionnellement, de metteur en scène. Lorsqu’il monte une production avec un texte qui n’est pas de son cru. Il a monté cinq Shakespeare. Ce qu’il considère comme un processus d’apprentissage pour lui-même, et un acte d’humilité. Le maître honore le grand maître. On peut dire la même chose de cette production-ci. Cassavetes raconte une histoire à partir de ses propres profondeurs. Cela vaut également pour les productions de Lauwers, dont il est l’inventeur, l’auteur, le metteur en scène et – parfois – un des acteurs. L’histoire est le cadre, mais c’est du message qu’il s’agit. Pas un avertissement sociosocial. Il faut creuser plus profond. Le début du conflit, qu’il s’agisse d’un conflit entre voisins, comme dans Place du Marché 76, ou d’un conflit mondial. Cela vaut aussi pour Cassavetes, y compris sa toute dernière pièce. Ce n’est pas par hasard qu’elle s’intitule Begin the Beguine. Ce titre fait référence à ‘commencer au commencement’ et au succès éternel de Cole Porter, qui a avoué plusieurs fois que la rumba était à l’origine de sa chanson. Une danse rapide qui accélère sans cesse, comme l’accouplement. Jusqu’à ce que la jouissance soit suivie de sa propre mort. Sexe et philosophies de comptoir L’amour et la mort, voilà de quoi il s’agit dans Begin the Beguine. Deux hommes s’ennuient dans un appartement à la mer. L’un est un type extraverti avec peu de sentiments, l’autre est introverti et constamment en quête de l’arc-en-ciel entre son ciel bleu et ses nuages noirs. Ils aiment leur femme, de par leur bourgeoisie, mais ils veulent du sexe. Par frustration. Car l’amour est abstrait, et le sexe est réel. Grâce à une connaissance, ils invitent quelques femmes. Après avoir couché avec elles, ils en invitent quelques autres. Puis d’autres encore. Chaque fois différentes. Des rondes, des jeunes, avec et sans style. Quel plaisir. La vérité latente se fraye un chemin vers la réalité. Chez l’un comme chez l’autre. Aucun des deux ne ressent de jouissance spirituelle après toutes ces femmes. C’est le plus flagrant quand, vers la fin, un des deux hommes plongés dans leurs philosophies de comptoir, lors d’un de leurs interludes, dit: ‘Quand je couche avec elle, je vois ma femme.’ Architecture bloquée Le metteur en scène Jan Lauwers a subtilement teinté le processus évolutif du jeu de l’amour d’abord comique puis tragique. C’est sur son architecture baroque bloquée qu’il a étalé le périple de Cassavetes aux frontières des pulsions sexuelles. L’homme reprend sa place dans le mariage via des dizaines de fausses pistes et accepte qu’il n’y a pas d’amour véritable sans mystère. C’est précisément là que réside toute la génialité du concept créé par Jan Lauwers. Les deux hommes ont beau ne pas se dévêtir, leurs vêtements sont de plus en plus ouverts, les deux hommes de plus en plus nus, tandis que les femmes, qui paradent allègrement avec leurs atours, ne sont en réalité jamais nues. Voilà pour le réel. Quant à l’abstrait, il réside dans le fait qu’il révèle le caractère des personnages en montrant, dans l’obscurité, l’ombre de la lumière, comme l’a écrit et donc voulu l’auteur. C’est sur un mode réaliste que le metteur en scène montre, de façon claire et nette, le coup de maître qu’est cette pièce. L’espoir n’offre rien et confirme tout. Déclaration d'amour et homage Begin the Beguine a été écrit alors que son auteur songeait à deux de ses amis, Peter Falk et Ben Gazzara, car, soit dit en passant, Cassavetes écrivait des personnages en pensant à des personnes bien réelles. Par leur intermédiaire, cette pièce n’est pas une pièce pour eux, mais une ultime et grandiose déclaration d’amour à sa propre femme, Gena Rowlands. Et de Lauwers à sa femme. Dans l’espoir que cela vaudra aussi pour d’autres hommes, spectateurs. Et que les spectatrices y verront un hommage à leur égard. A leur passé. Fleurs et pralines Les deux hommes, Gito Spaiano et Morris Wine, sont joués par Falk Rockstroh et Oliver Stokowski. Inge Van Bruystegem joue les femmes Bibi Feller, Charlemane, Jocanda et Sung-Im Her Shelly Tonatsu, Benee et Kiko. Le style allemand de jeu se voit clairement aux hommes. Lauwers a pourtant réussi à leur faire adopter un double jeu. Leur technique conventionnelle est contrebalancée par une sensibilité transparente, ce qui castre leur machisme. Les femmes jouent allègrement, comme de coutume chez les danseurs acteurs de Needcompany. C’est surtout Sung-Im Her qui frappe, même si son jeu peut être plus changeant; avec davantage de variations sur un même thème. Une boîte de pralines pour les costumes. Lot Lemm maîtrise l’art du raffinement. Les hommes en noir et blanc, les femmes chatoyantes, loin de toute attitude bourgeoise, mais dans la vogue très tendance, enracinée dans l’époque hippie avec ses ramifications orientales. Joyau de la couronne On pourrait en dire encore long à propos de ce remarquable spectacle et se ruiner en bouquets de fleurs, mais il s’agit ici d’une opinion, et pas d’un panégyrique de dix pages. Ajoutons pourtant l’espoir d’une parution rapide d’une traduction et production néerlandaise. Begin the Beguine est le meilleur classique de ce siècle, un joyau de la couronne de Needcompany, qui mérite une place dans tous les palais du monde du théâtre et dans tous ses festivals, et pas seulement à Vienne.

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