Tituber élégamment, l'histoire d'un calvaire contemporain
Anna Luyten - Knack (20 juillet 2006)

Le Bazar du Homard, le nouveau spectacle de théâtre de Jan Lauwers et Needcompany, a été créé au prestigieux Festival d'Avignon. C'est du théâtre captivant qui continue à exercer sa fascination longtemps après que le rideau soit tombé. C'est un spectacle qui va au fond des choses, mais avec une légèreté qui humanise le drame. C'est un spectacle qui offre du réconfort par son respect formel de la beauté et de la sincérité. C'est un spectacle au contenu d'une grande richesse parce qu'il fait incidemment appel à des images de l'actualité et les mêle sans peine aux mirages surréels des personnages tragiques. « Le Bazar du Homard » relate l'histoire d'Axel, professeur en génétique, et de sa femme Theresa, une mère poule. Leur fils Jef a trouvé la mort lors d'un incident stupide à la plage. Axel et Theresa se consument de chagrin, chacun à sa façon. Axel décide de se noyer dans la mer. Pour son ultime dîner, il décide d'aller déguster un homard. Au restaurant « Le Bazar du Homard », le serveur est d'une telle maladresse qu'il renverse le plat de homard sur le costume blanc d'Axel. Ce dernier voit la fin de sa vie, qu'il avait si soigneusement orchestrée, dégénérer en chaos total. Il a des hallucinations et est entraîné dans une chevauchée infernale à travers un monde précaire, mis à feu et à sang en ce début de XXIe siècle. Salman, le premier être humain cloné, est le couronnement du travail d'Axel. Ce superbe jeune homme, la perfection incarnée, est d'une terrible fadeur car il n'a aucune personnalité. En créant Salman, Axel a tenté de s'insurger contre l'imperfection de l'existence, imperfection dont il est lui-même la victime. Mais dans un monde peuplé d'humains qui font tant d'erreurs, c'est justement l'aspiration à la perfection qui rend la société tellement inhumaine. Une scène : Axel et Theresa organisent une soirée entre amis. Un feu de cheminée factice doit évoquer la convivialité d'un barbecue. « Tu es en retard, les invités vont arriver. » « J'ai acheté des allume-feu, sinon tu n'arriveras jamais à faire du feu. » « J'ai invité un homme qui m'a aidée à charger les saucisses dans mon coffre. » « C'est une métaphore ? Charger les saucisses dans ton coffre ? » Cet échange est imprégné de la solitude d'une mère et d'un père qui ont perdu leur fils, de leurs sentiments de culpabilité et de leur souhait ardent que tout redevienne comme avant. Mais dans cette pièce, rien n'est comme avant. Elle dépeint un monde où chacun tente à sa façon de tenir tête au chaos. Où chacun tente d'assurer la cohérence du récit de sa vie. Mais toute tentative d'établir une logique est vouée à l'échec. Seul l'humour peut encore aider, ou une petite chanson de temps en temps. Il n'y a plus de souffrance, mais pas de joie non plus. À la fin de la pièce, Theresa dit à Axel : « Pourquoi vouloir améliorer l'espèce humaine ? Tu voulais la perfection. Mais la perfection est tellement prévisible. La perfection est monotone. Ton nouvel homme, il va sombrer dans la monotonie. » « Le Bazar du Homard » est un hommage à l'homme chancelant dans sa quête d'un point de repère, d'un rythme personnel. Dans la situation donnée, personne n'est capable de tenir un récit cohérent. C'est la musique qui s'en rapproche le plus. Le chant permet aux interprètes de célébrer la polyphonie de la vie. Les scènes dansées ne sont pas seulement belles et réconfortantes, mais elles témoignent aussi d'une extrême vitalité. C'est cette vitalité qui donna sa puissance au spectacle. Comme l'affirme si bien la sagesse populaire, qui veut marcher longtemps fait bien de se chausser confortablement. « Le Bazar du Homard » est un spectacle qui nous invite à observer le théâtre sous plusieurs angles à la fois. C'est un chemin de croix contemporain, sous des dehors de comédie musicale. On y fait l'amour, on y crie, on y console, et c'est aux comédiens que revient le mérite de susciter en permanence une légèreté apaisante en filigrane de cette tragédie intense. Ils titubent élégamment. Anna Luyten - Knack - le 20 juillet 2006

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