Ego trips et meurtres sur musique baroque
Tom Janssens - De Standaard (13 août 2018)

Dans sa première mise en scène d’opéra, Jan Lauwers appose sa griffe narrative visuelle sur l’intrigue amorale de ‘L’incoronazione di Poppea’. L'image, le jeu, la danse et la musique s’agencent si bien qu’on se pose la question : où s’arrête Monteverdi et où commence Needcompany ?

Une faute de frappe dans un tweet de Donald Trump avait à nouveau suscité l’hilarité le week-end dernier. Le président américain entendait écrire ‘text messages’, devenu ‘text massages’. Amusant mais le tragique de cette coquille, c’est que la bourde l’a emporté sur le message. Car quel était le contenu du tweet au juste ? Ça n’était tout à coup plus si important.

Comment faire face à un dirigeant politique pour qui l’intuition prévaut contre la diplomatie ? La critique ou l’indignation ricochent sur un génie autoproclamé qui sème le chaos à tout vent; voilà très précisément ce dont il s’agit dans Le couronnement de Poppée de Monteverdi.

Il y a une scène dans cet opéra vieux de bientôt quatre cents ans où Sénèque tente de convaincre un empereur Néron fou amoureux. Le vieux philosophe argumente qu’il n’y a pas de place légitime en politique pour les émotions. Une erreur. Les réponses que Néron lui balance à la figure pourraient tout aussi bien être des tweets de Trump. ‘Quant on peut agir à sa guise, on n’a point besoin d’arguments.’ Ou encore : ‘La raison est la règle pour celui qui obéit, non pour celui qui ordonne’.

Si le Festival de Salzbourg, en cette ère Trump, affiche exceptionnellement une fois encore Poppea, ce n’est guère fortuit. L’historien  Philipp Blom, qui s’est solennellement chargé du discours d’ouverture, a évoqué ce qu’il arrive lorsque les préjugés et les sentiments l’emportent sur une pensée critique.  Son analyse : ‘Nous évoluons entre les coulisses de l’éclairage tels des acteurs de théâtre, avec le mauvais texte et dans le décor d’une pièce terminée depuis longtemps.’

Jan Lauwers, metteur en scène de Needcompany, l’œil ouvert sur les mondes et les images qui se frottent au passage, monte ainsi Poppea sur les planches de Salzbourg. L’opéra de Monteverdi est une narration déconcertante, une histoire où l’amour triomphe de la raison et où la disposition à surmonter les cadavres est un moyen de survie. Jan Lauwers ne laisse planer aucun doute : dans cet opéra amoral, les vieilles valeurs telles que la Vertu et la Fortune marchent avec des béquilles et la scène est jonchée de corps inertes.

Mais un opéra d’actualité n’a pas forcément besoin d’être remis au goût du jour. La mise en scène de Lauwers n’est pas une sombre leçon de morale, au contraire. Au rythme d’une musique grandiose, il dresse des tableaux baroques vivants, pastel, sensuels, sur une scène où les corps des chanteurs et des danseurs continuellement se heurtent et s’accrochent. Sous cette belle surface ça se tortille, car ne pas recevoir les caresses ou les flatteries, c’est endurer l’agression ou l’affront.

Dans ce décor, les personnages principaux vivent ce qu’ils ont dans les tripes. Sonya Yoncheva est délicieuse dans le rôle de Poppée, amante maladivement sensuelle mais calculatrice qui, dans sa conquête du trône, ne peut souffrir aucun faux pas. Sous des airs feints et mielleux, Kate Lindsey est une Nerone incisive et abrupte. Stéphanie d’Oustrac est surprenante dans son rôle d’Ottavia, l’épouse bafouée de l’empereur, qui consciente de sa chute, attise son chagrin à coup de braises et de furie.

Dans l’orchestre, William Christie renonce à son rôle de dirigeant. Il préfère laisser l’initiative aux chanteurs, quitte à payer le prix de quelques écarts dans le jeu d’ensemble. Un bémol pour plus de spontanéité et d’authenticité. La place est laissée à une représentation vivante, impulsive et libre aussi, en symbiose avec l’écriture visuelle de Needcompany. Un corps qui tourne sur lui-même est le leitmotiv. Le symbole d’une transe baroque et de l’excès physique mais aussi une belle métaphore d’une société avide d’expériences, où chacun pense que tout tourne autour de sa personne. Une leçon pour le public tout compte fait.

Lauwers est demeuré fidèle durant trois heures et demie à l’esthétique dramatique de son univers, même si cela signifie un schisme avec la fade tradition qui attend du metteur en scène d’opéra un déballage final en grandes pompes et synthétique. Eh bien non. Ce qui valu à Tom Lauwers d’être accueilli par un mélange d’ovations et de sifflets du public. Dans la logique de Salzbourg, voilà assurément le signe d'une représentation très réussie.

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